Une pente s’offre piteusement au regard. On entend un train passer dans le lointain… Nature morte agitée par le vent de mai, comme une jeune fille qui court, courant d’air, pensées en fuite. Mais je n’ai pas faim, pas soif, ni projet ni programme, pas même une carte de la ville où je me ballade en songe, endormis sur une pile de livres, tous les mêmes, tous ouverts à la même page, celle qui parle de mélancolie… Points de suspension ! Une mélodie brisée, qui ne chante plus, c’est mon nom qui est là comme une flaque où j’aurais sauté à pieds joints, d’où tout d’un coup se lève une armée d’insectes dorés et de farouches déesses, l’épée râclant la terre et comme l’ouvrant tandis qu’elles s’avancent, à marche forcée. Des tourbillons violets ceignent leurs yeux, multitudes d’ancres s’arrachent de sol à leur passage, m’écorchant les reins, et le printemps lui-même semble me retirer la vie par ces bourgeonnements auxquels je me dérobe, comme la terre se voilant lorsque passe le laboureur au matin s’éveillant se voit changée à jamais dans sa chair mûre. Qui sont-elles, ces perfections évanescentes, comme la rosée, cerclures aussi de ma descendance, totalité où je vais et viens sans repère qu’elles en chaque zénith de ma vie ? Elles sont neuf comme le temps, neuf sœurs d’acier, orchidées bleu-émeraude, cascades, syrinx, appelant au combat et à la mort. Et je suis encore leur traîne dans les éclats d’une terre aveuglante, pigments féroces sans plus de distance à mes yeux, ma vue plonge, recommence leur ritournelle ascendante...

Marcher dans les rues des grandes villes est devenu un métier à part entière, avec ses portions d’usure et de promesse, un travail à proprement parler, formateur et disposant de son propre plan de constitution. Hommes et femmes se déplacent sur ce plan, lignes irréductibles qui pavidement dessinent le strass d’une époque immatérielle, sous leur pas les nuées ardentes, leurs sens se mêlant en dehors de toute volonté contre cette volonté qui combat pour la royauté de son indifférence. Qu’est-ce que la liberté des sens, lorsque ceux-ci sont assaillis, provoqués, énervés, par toute séries de bruits citadins, qui fusent de partout et tiennent à toutes forces à se distinguer les uns sur les autres, pour attirer l’attention c’est-à-dire, pour se distinguer sur le corps des « passants » ? Car on ne passe pas, on circule, donc en cercles, circulairement autour de quelque chose qui est, ou plutôt n’est pas, parce qu’il contient en germe tous les maux virtuels dont l’on se sert pour contrôler et établir des distinctions entre les êtres, que ces êtres, touchés par la force vitale néanmoins présente et à courir comme une damnée dans les circuits exfoliant postmodernes, s’approprient en retour comme ce qui doit leur apporter la vérité sacralisante de leur propre constitution, indépendante jusque là.

Il faut savoir qu’il existe au congo des feuilles qui font 25 mètres de long et 4 de larges, des arbres équatoriaux qui poussent d’une dizaine de mètres par année.

H

Aurelia
Sur la partition immense et puissante d’un jeu de paume
Là où sur la plaine déchirée de directions saignent les plans vers le ruisseau

entrer dans une enième dimension de son corps


fajkostirem tenia endor
Drogue douce, voler comme un serpent à plume sur les sinuosités d’une voix dont on ne comprend pas les paroles, d’une mélodie dont on se laisse prendre la forme. Se mettre en quarantaine avec Lou Reed, glisser sur les accords de piano comme sur une peau de banane, un sérum de vérité, un vaccin contre toutes les intentions dont les strates de la vie quotidienne nous travaillent.

Etre un dieu pour ses peurs.

La société actuelle est la spécialiste du sucré : l’énergie à petite durée.

Les poètes ne sont pas des inspirés mais des inspirants, voir de véritables aspirateurs.

mes volets battent comme par grand vent, les céramiques se taisent et mon coeur en colère se coupe les pieds sur la place publique

Page blanche, ou déjà noircie d’incertitudes dressées, les lignes se tissent les unes après les autres, descendant le long d’un arcane insensible, comme du lait sur les courbes d’une vierge noire. Tanôt hésitante, la main trace, le doigt frappe, et tantôt aguerri, en avance sur son temps, porte la pulsation du cœur qui l’abreuve jusque dans les mots et les phrases, dans une rythmique où se mêle le passager et la mort, l’imprévu et la cohérence de l’airain.

Des mots secrets donnent sur des seuils qui eux-mêmes donnent sur l’entrée de passages où les noctambules passent sans s’en rendre compte.

Je regarde sans voir sur cet écran que de longtemps on a appelé le diaphane. Des lettres de feu s’écrivent sur ces veines infinies, des passions, combattant sans fin, luisent dans des bains de contradiction où la vue profonde trouve son chemin.

Les vautours se nourrissent grâce au peu de vigilance des peuples nourris à l’optimisme catégorique.

W

Tout ceci s’est déroulé en négatif à travers mes astres de papier, et lorsque j’ai vu le film de mes pensées prendre feu, j’ai compris l’immensité que voilaient mes esquisses.

Icare c’est toute l’horreur des diables en boîtes, des séries de films passés au ralenti sur lesquels on verrait l’étendue de son bonheur, et ce bombardement doux d’images serait l'engendrement de sa mort, si l'on peut dire, sa mort lovée et repue, mais encore à même d’enchâsser le pas au soleil, dans une course de cascade créatrice.

De minuscules points de passage qui sentent la nuit

Signaux de fumée

Faire attention à chaque bruit


Ne pas bouleverser l’ordre des choses pour un rien

De la verge au plastron, de là à la terre, de là au ciel.

C’est seulement par un manque de distance qu’on se trouve dégoûté de quelque chose — lorsqu’on est finalement forcé de l’ingérer. Se tenir à l’écart est alors un acte de prudence, non de mépris : pour ne pas être dégoûté des autres, on évite leur compagnie, on s'évite ainsi de les mépriser. Cette prudence ne voile sans doute qu’à peine la froideur de ses calculs : « ceux-ci peuvent m’être utile, il ne faut pas que je les méprise, sans quoi il me deviendra impossible de traiter avec eux ». Mais chez certains parmi les plus rares, il y a encore derrière cela comme une bonté, presque une grâce.

Preuve de la décadence dans l’emploi de la langue : les synonymes ont considérablement augmenté. On utilise les mots comme se valant les uns les autres, mais — aucun mot ne vaut aucun autre !
Deuxième preuve de la décadence
dans l'emploi de la langue :
inexistence des synonymes
et impossibilité de la traduction.

Qu’apporte l’inorganique ? Il apporte peut-être une distance. Un au-dehors du monde à l’intérieur même de celui-ci. Je ne parle pas seulement d’une possibilité d’évasion, voir de diversion, mais d’une extériorité pleine de prescience quant au monde organique. Ce n’est pas la machine qui est inorganique : la machine est organique, hiérarchisée, capable de croissance si elle est programmée ainsi, mais d’une croissance uniquement quantitative puisqu’elle est programmée et produite, qu’elle est une image figée, un soi-même, de ses créateurs — Prométhée, semble-t-il, a toujours été en retard sur son temps… Qu’est ce qu’alors que l’inorganique ?

Qu’est-ce que fait l’écrivain si ce n’est créer les conditions nécessaires à la création d’un espace ? L’espace de la page, oui, et l’espace bien plus grand, parce que affiné, que le contact du regard avec les mots créé dans un frottement de formes programmatives. Pourquoi fait-il cela ? Quel est son but ? Rendre éternel, voilà son but. L’affirmation jusqu’à la déraison et à la mort. Une affirmation qui étend son emprise temporelle, mais qui a pour cela d’abord besoin d’un espace, d’une tension existante, qu’il peut surtendre de son archet, sensible sur toutes les cordes de la vie.

X

Beauté endormie, signe rêvé où toutes les enfances mêlent leur doigts fauves, ces volontés indéchiffrables, infranchissables, s’exprimant dans chaque courbe du corps bercé dans les pourpres poumons du sommeil.

L’instinct de plénitude contre le sacerdoce de la douleur — une lutte à mort.
quant à moi, je serais plus tardif

J’aimerais écrire sur un tableau noir avec les yeux d’une chèvre, des effloraisons micrologiques. Mes doigts tapent sur un ventre plein d’ombre, mais je suis aussitôt trahis par la fixité de la lumière artificielle, et ceci bien que mes orbites parfois roulent au-delà de l’écran et se servent de lui comme Narcisse de son miroir aquatique. Suicide technique, technologique, quoique la parole n’ait pas grand-chose à voir dans tout ça, du moins pas en tant que mouton noir, mais bien en tant qu’elle est sécrétée et communique des pistils cryptés dans des dimensions séparées de l’espace, avec d’autres lettrages et valeurs intensives, plus ou moins élaborées, codées, et pas seulement par ces successions de moutons noirs et de moutons blancs qui broutent la lumière de l’écran, mais avec dix mille mondes, comme on en sent affleuré tout au long de Ghost in the Shell. Mais le titre est trompeur, un fantôme dans une coquille ce n’est pas du tout ce qui se passe dans le film : voyage d’une matière vers d’autres matières, d’un pistil humain vers des fleurs de machines qu’il va féconder, et lui-même n’est pas seul. On y écoute étrangement la semence se former comme en se retournant sur sa propre multiplicité, une fois jetée loin du corps organique, et prendre un élan distinct qui s’amuse ensuite à se spécifier dans des directions de nature. Ce qu’on y écoute est fantomatique, mais qu’est-ce à dire ? Il y a déjà comme une particularité de l’ombre de pulluler, de foisonner, dès qu’on approche d’elle un rayon de lumière. Ici, le rayon de lumière c’est le ghost et ses directions de nature, et c’est déjà en lui que l’ombre se multiplie, dans ce corps organique retourné par un appel particulièrement terrible. Le voyage vers la machine ou l’appel de Cthulu, l’exigence des Fremens ou le pari de Pascal : à chaque fois il y a un prélèvement, une séparation, qui sont aussi sous ce double aspect une extirpation, le processus d’une sélection et d’une mise en relief qui paraîtra bientôt à ses propres yeux être tombée de la dernière pluie. Le sentiment de la nouveauté se dégage d’un mouvement, chronogène par essence, et le ghost est lui-même l’œuf chronique où tout s’engendre en enchaînant ainsi des vibrations. On pourrait reprendre ici la ritournelle de Deleuze et Guattari, la formation d’un territoire, sa machination, la manière dont on prend depuis lui un autre départ : « tantôt, tantôt, tantôt ». Y a-t-il une spécificité qui se dégagerait du corps technique traversé ? C’est certain, mais pas comme une disposition organique, ni mécanique d’ailleurs, parce qu’il n’y pas de règles préalables à la rencontre de ces matières, et ces matières seront autres en se touchant, ou même en se regardant de loin. Et ce n’est pas une question d’intention, mais d’atension et de surtension, toujours une métatension qui sommeille et qui devient une luxuriance dès que s’approche une résonante. Ainsi le ghost n’est-il pas à proprement parler le territoire, mais ce sur quoi se machinent les limites du territoire et avec quoi il émerge, ce qu’il ne quitte pas lorsque le flux change pour un autre territoire et y grandit avec toutes ses cornes. Le ghost comme corps sans organe, et dans le film, c’est la spéculation après la plongée sous-marine sur ce que pourrait bien être le ghost. Matière de spéculation, à foison, lorsque l’ombre reflète les couleurs. Et que faire alors de la vitesse de la lumière, de la jungle portée dans la lumière, et la vitesse infinie qui s’enveloppe dans cette vitesse turbulente, et, disparaissant, atteint et revient, à nouveau étrangère à l’origine ? C’est bien sûr une forme d’intuition, mais elle se transforme du fait de la logomachie que constitue les techniques cybernétique, ce qui s’appelle déjà « mémoire externe » dans Innocence. Il y a des prélèvements dans ce corpus, dans ses floraisons baroques, dans ses mainstreams, dans ses polygonies paranoïaques, partout mais non indifféremment : le trajet devient déterminant.

Comment reposer mon corps quand je ressens tout ce qui me touche dans un terrible déchirement intérieur. Le bas de la gorge, la cage thoracique, poumons, plexus, un arrachement de mon mouvement d’âme en deux volontés distinctes, deux tensions vers deux objets différents et incompatibles. Tragédie pour l’intimité du sentir. Comment ne se poserait pas alors le problème du désir et de la volonté, nature naturante et naturée, ce qui prend possession de moi et ce qui en moi prend possession d’un flux, comment le premier conditionne le second à une gestuelle typique dans la prise de possession, comment le second doit être également du premier genre pour libérer, peut-être, une forme sans alternative. Mais c’est peut-être folie de juger qu’une telle forme est possible ; le temps n’est-il pas seul en la disposition de cette sérénité ?

comme si je n'avais jamais que le choix de ne pas avoir le choix --- comme si toute cette existence était faite de telle manière que, en chaque moment de crise , une seule voie seulement s'avère en fait possible
absurde souffrance mienne
qu'as-tu donc à crier
qu'as-tu donc à donner
Horribilité matinale , ce n'est pas seulement la laideur comme dans le morceau de Faith no more. Ne me regarde pas, je n'ai pas de visage à composer pour toi, rien à offrir que ce moment d'affreuse indécision, non-volonté de se plier au choix entre : jouer dans la Cour des miracles ou bien se laisser construire par le visage des autres.

labyrinthe du temps
fermente je fermente c'est mon levain
le temps n'est pas ce qui passe
la matière passe, le temps fait monter la matière
hécate pétrit de ses six mains
la croisée de route que je suis
je suis déchirement perpétuel
sur la double roue de l'infini.
serait-ce matière à désespoir
si vous savez encore à quel sentiment se rapporte ce mot -- ?
qui est-elle, qu'est-ce, l'asphyxie, ou bien alors :
sais-tu dans quelles conditions tu respires ?
si la possibilité est circonstance, naissance
dans les contractions de la matière
d'une matière élevée qui se contracte
en d'absurdes torsions temporelles
vers la chute totale de son corps-fusion,
l'impossibilité réside dans le son de sa voix.
Impossible dit-il, de dire la réalité du surgissement intransitif.
ce n'est pas que l'impossible serait muet,
ou bien baillonner par une mauvaise philosophie,
mais sa réalité est la non-réalité de tout
rien n'est séparé sans son action mais lui n'est séparé de rien.
c'est comme si l'on croyait que c'est la matière qui asphyxie
quand c'est l'esprit qui est l'astringent par excellence.
comme si l'on croyait que c'est le manque d'espace
quand c'est la faible densité de matière
qui crée la sensation d'un manque affreux et misérable.
Dites-moi où vous allez chercher votre air,
je vous dirais je vous dirais je vous dirais etc.
hécate : sortir ou entrer ? quelle différence ?...
l'impossible a-t-il une voix, est-il une voix, ce n'est pas le problème.
Le verbe est trajectoire, est création d'espace, réceptacle
des espaces perpétuellement démembrés et consommés
sur le corps de son labile et intense où naît la matière.
Il est à la croisée de dimensions que rien ne sépare
et qui pourtant ne se voient pas, mais qui se veront un jour, si elles le peuvent,
et elles le pourront, puisque je peux l'évoquer.
et c'est ainsi que la musique est devenu un argument.

arbre-ampoule
identité du pensable
renonculante prolifération
tu foules la syrte
comme l’autochtone marche à la mort
en boucles de son
Y

hécate de métal
protèse litigieuse d'un choix
auquel je n'ai pas envie de croire.
d'instant en instant, je me déplace
je change, mais les circonstances
dont je suis l'intime produit
me lancent vers le ciel dans un virage
hurlant et continu
sur lequel il ne me souvient pas
avoir jamais eu la moindre prise.
est-ce oublier alors qu'il me faut ?
oublier que j'ai un dieu
oublier que je suis né
qu'on m'a éduqué comme une chose séparée
est-il trop tard ? ai-je encore le temps ?
est-il seulement possible qu'un jour ... ?